Saint-Louis

L’Île de Saint-Louis, surnommée dans le passé la « Venise africaine », est classée au répertoire du patrimoine mondial de l’Unesco depuis l’an 2000, en raison de la valeur historique et patrimoniale de la vieille ville. Son architecture coloniale est unique, avec ses maisons ‘à balcon’ et ‘à galerie’, leur façade de chaux, leur double toiture en tuile, leur balcon en bois et leur balustrade en fer forgé, ainsi qu’avec ses maisons basses de style portugais. L’île s’articule en trois parties : le quartier Nord, le quartier Sud et la place Baya Ndar (ancienne place Faidherbe) avec le Palais de la Gouvernance au centre. Cette minuscule bande de terre est reliée par l’imposant Pont Faidherbe aux quartiers de l’Île de Sor – anciennement les quartiers indigènes – qui représentent de nos jours, avec Bango et le quartier des pêcheurs Guet-Ndar, les quartiers les plus habités de la ville de Ndar (le nom de la ville en Wolof). La vielle ville coloniale est insérée entre les deux bras de l’embouchure du fleuve Sénégal, en un mariage subtil entre paysage terrien et fluvial, qui s’étend au nord vers la Mauritanie, et au sud vers la plage Hydrobase. Au sud de la ville de Saint-Louis s’étend la Langue de Barbarie, une presqu’île sablonneuse adjacente à l’Océan Atlantique, aussi classée patrimoine de l’Unesco.


Vue depuis l’Île de Sor: le Fleuve Sénégal, la pointe Sud de l’Île et le Pont Faidherbe.
Fondée par les colons français au XVIIe siècle (et aussi sous influence portugaise, hollandaise et britannique), ancienne capitale politique de l’Afrique occidentale française (AOF, jusqu’à 1902) et du Sénégal (jusqu’à 1957), l’Île de Saint-Louis a été le premier comptoir français sur la côte atlantique africaine. Elle était une plaque tournante pour les négociants européens remontant le fleuve à longueur d’année à la recherche d’esclaves, mais aussi de gomme arabique, d’or, d’ivoire et d’autres produits. Elle a exercé une influence économique et culturelle prépondérante sur les régions d’Afrique sous colonisation française. Cette influence s’est manifestée en particulier en termes d’architecture, de culture et d’artisanat, ainsi que d’éducation.


Bâtiments coloniaux, quartier Nord, Île Saint-Louis
Une ville de métissages et d’hybridations culturelles africaines et européennes
La ville a représenté, selon les termes de l’Unesco, le premier ‘laboratoire d’une nouvelle société différentielle’ s’exprimant par le métissage et l’hybridation d’influences africaines et européennes, qui ont façonné un imaginaire, une esthétique sociale et un mode de vie propres. Ces échanges ont contribué à la diffusion d’une synthèse culturelle dans tous les anciens pays de l’AOF (Mauritanie, Sénégal, Mali, Guinée, Côte d’Ivoire, Niger, Burkina Faso, Bénin). Saint-Louis symbolise de nos jours au Sénégal l’élégance et le raffinement, aussi grâce à l’héritage socioculturel des Signares de Saint-Louis. Ces femmes puissantes (métisses ou non) étaient entreprenantes et connues pour leur élégance et leur raffinement, à la croisée des cultures africaines et européennes. Elles ont acquis une influence et des richesses pendant la période coloniale en se mariant avec des hommes européens selon ‘le mariage à la mode du pays’, qui leur a servi d’ascenseur social aussi grâce à leur association avec les affaires du mari. Quant aux descendants métisses, ils ont acquis un statut et des richesses grâces aux héritages. Si de nos jours les Signares sont contestées par certains, car leur fortune s’est aussi construite grâce au commerce des esclaves, leur héritage culturel est toujours présent dans la mémoire populaire de la ville, notamment lors du festival des ‘Fanals’, où les femmes de Saint-Louis se déguisent en Signares avec leur robes volumineuses et élégantes et leurs chapeaux coniques. Des descendants métisses des Signares font toujours partie de la population saint-louisenne, en particulier dans la vieille ville.


Bâtiments coloniaux, quartier Sud, Île Saint-Louis
Un renouveau culturel entre célébration et décolonisation du patrimoine
Tombée en léthargie après l’indépendance et le transfert de la capitale à Dakar à la fin des années 1950, qui a attiré nombreux fonctionnaires, artistes et intellectuels, Saint-Louis vit aujourd’hui un renouveau culturel, social et économique. Au niveau du patrimoine architectural, la ville s’est lancée dans un vaste programme de rénovation des anciens bâtiments coloniaux sous l’égide de l’Unesco et de l’État sénégalais. Quant à la mairie, elle s’est engagée dans une démarche de décolonisation patrimoniale de l’espace public en rebaptisant les noms des rues et des bâtiments historiques de l’île. Ainsi, la place Faidherbe, dédiée au gouverneur colonial et située au centre de l’île, a été rebaptisée Place Baya Ndar (la Place de Ndar), et sa statue a été retirée. D’autres rues et bâtiments sont rebaptisés selon les décisions d’une commission créée ad hoc par la mairie. Notons aussi qu’au niveau économique, avec la découverte d’importants gisements gaziers au large de Saint-Louis, la réouverture de l’aéroport et la construction en cours de l’autoroute reliant Dakar à Saint-Louis (et à la Mauritanie), le secteur économique ainsi que le tourisme culturel et d’affaires sont appelés à fortement se développer.
La vitalité des activités culturelles de la ville de Ndar se manifeste, entre autres, par le développement d’espaces muséales visant à célébrer le patrimoine tels que le Musée de la Photographie, MuPho, et son Archipel des Musées (quatre bâtiments dans le quartier Nord).

Affiche du MuPho, quartier Nord, Île Saint-Louis
Créés à partir de 2017 par Amadou Diaw pour rendre hommage aux photographes historiques de la ville et promouvoir la photographie contemporaine du continent (MuPho), transmettre l’histoire des luttes pour les indépendances et la souveraineté dans le continent (Musée des Indépendances) tout en valorisant les créations artistiques historiques et traditionnelles africaines (Musée du Sous Verre, Musée des Arts Classiques – Origines), ces espaces muséales représentent une stratégie de valorisation et de transmission du patrimoine historique articulée à une stratégie visant à favoriser le développement des secteurs touristiques et économiques de la ville. Art, culture, patrimoine, tourisme et économie s’imbriquent ainsi pour accompagner le développement et la promotion de la ville, et pour valoriser son identité et sa mémoire historique, sur fond de quête de souveraineté.

Le Musée des Indépendances, quartier Nord, Île Saint-Louis
Les questions mémorielles et patrimoniales sont très importantes dans la ville de Ndar, étant donné son patrimoine matériel et immatériel colonial et les réflexions autour des processus de décolonisation qui sont en cours. La création récente (février 2024) de l’espace Ndar Weesul dans le quartier Sud de l’île par l’association Hahatay, en collaboration avec des acteurs étatiques et privés de la coopération espagnole, atteste l’importance des questions liées au patrimoine auprès des acteurs culturels. Ce centre dédié au patrimoine, à la culture et à la communication, organise des expositions et des rencontres autour de l’expression artistique, la préservation du patrimoine et l’échange interculturel. Les acteurs du centre s’engagent aussi dans une réflexion concernant la redéfinition même du concept de patrimoine pour l’adapter au contexte particulier de Saint-Louis, dans une dynamique décoloniale visant à changer le narratif autour du passé et du patrimoine.
Saint-Louis est une région orientée patrimoine culturel, matériel et immatériel. J’ai le rêve de faire une triennale d’architecture à Saint-Louis pour changer un peu le mindset ici. On pense tout le temps à l’héritage culturel, l’héritage colonial. Je trouve que c’est important de réfléchir à dans quel contexte on doit se replacer pour parler du patrimoine à Saint-Louis. Est-ce qu’on doit continuer à parler du patrimoine à Saint-Louis parce que c’est un patrimoine colonial, ou est-ce qu’on doit réfléchir sur le fait que Saint-Louis a été construit par les Sénégalais des royaumes du Djolof, du Waalo, du Cayor, et que ce sont ces gens-là, leur génie, leur force et leur intelligence qui ont fait de Saint-Louis la ville qu’elle est devenue? Comment doit-on réfléchir sur ça ?
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Facade externe de l’espace culturel Ndar Weesul, quartier Sud, Île Saint-Louis
Au-delà des questions patrimoniales, l’objectif de Ndar Weesul – tout comme celui de Jangkom, un espace de formation en communication, arts numériques et ICC fondé par Hahatay en 2023 dans le quartier Nord de l’île – est aussi d’accompagner les jeunes artistes de Saint-Louis en promouvant autant la culture que la citoyenneté. Comme l’estime le fondateur de Hahatay Mamadou Dia – un jeune ‘migrant de retour’ depuis l’Espagne qui a initié depuis une dizaine d’années avec sa femme journaliste Laura Feal une influente dynamique de développement culturel, social et économique autant dans la zone rurale de Gandiol que dans la ville – il s’agit de redonner à la culture de Saint-Louis ‘son lustre d’antan’, notamment en créant les conditions pour permettre aux jeunes artistes d’éclore.

Espace culturel Ndar Weesul, quartier Sud, Île Saint-Louis
Saint-Louis, ville de festivals
Ville de tourisme culturel et de festivals, Saint-Louis est connue pour son Festival international de Jazz, dont la première édition a eu lieu en 1991 à l’initiative d’un collectif de jeunes passionnés de jazz. Au début destiné à faire connaître les musiciens de jazz locaux et nationaux, ce festival représente aujourd’hui l’une des manifestations culturelles les plus importantes en Afrique, avec des musiciens de renommée venant du monde entier. Le festival attire chaque année des dizaines de milliers de visiteurs nationaux et internationaux, et représente la locomotive culturelle, touristique et économique de la ville. Il est devenu non seulement un espace créatif de rencontres, d’échanges, d’expériences, et de dialogue entre les cultures, mais également une plateforme de promotion et de valorisation du patrimoine historique et culturel de la ville, en d’autres termes un vecteur de transmission mémorielle.
Le succès du festival de jazz a incité la création de nombreux autres festivals dans la ville, surtout de cinéma et de musique, mais aussi de danse, de slam et de rap, voire de littérature, initiés ou comportant la collaboration de collectifs de jeunes et des jeunes femmes. Parmi celles-ci, se distingue Amina Niang, cinéaste et fondatrice de l’association Écran du Fleuve, active dans le cinéma et l’audiovisuel, et qui œuvre pour la démocratisation des images, la formation, la production et l’éducation des jeunes et des enfants aux images, aussi en intervenant dans les écoles. Elle a réalisé en 2024 le film ‘Retour du cinéma Vox’, qui célèbre le patrimoine cinématographique de la ville et du Sénégal. La jeune femme et son collectif militent pour l’ouverture de salles de cinéma à Saint-Louis, qui n’a plus de salle depuis plusieurs années, pour favoriser l’accès des jeunes au cinéma, considéré comme un langage universel puissant pour transmettre des imaginaires et des combats. Ces acteurs culturels revendiquent notamment la place des jeunes, en particulier des jeunes femmes, dans les métiers du cinéma, pour que les jeunes générations de femmes cinéastes sénégalaises et africaines puissent porter leurs récits et leurs combats, malgré les obstacles qui se dressent sur le chemin des femmes artistes dans des sociétés en tension entre tradition et modernité, comme la société sénégalaise.


Festival StLouis Docs 2025 avec Amina Niang, dans le quartier Nord (à gauche), et au Centre Culturel Le Château à Guet Ndar (à droite).
Ces jeunes artistes collaborent souvent avec les principaux acteurs culturels de Saint-Louis, à savoir l’Institut français du Sénégal, Le Centre Culturel Le Château, et l’Association Hahathay, à leur tour initiateurs, tout comme d’autres acteurs, des nombreux festivals – et des événements qui s’organisent autour – qui jalonnent pendant toute l’année la vie culturelle et artistique de la ville. Certains festivals sont éphémères et disparaissent après une édition ou peu après, aussi étant donné la tendance des jeunes artistes à vouloir se lancer dans la création d’un festival à l’issue de leur formation, par exemple le Programme CultureLab de l’Institut français (formation de jeunes artistes dans les secteurs de la musique, du théâtre et de la danse, ainsi que managers culturels). Cette dynamique semble répondre aux tendances actuelles vers l’entreprenariat culturel des jeunes en tant que stratégie pour acquérir des fonds et se démarquer dans le secteur, tout en répondant à leurs besoins d’expression artistique et culturelle. Une telle dynamique est généralement perçue positivement par les acteurs culturels de la ville, car envisagée comme un indicateur de dynamisme artistique, de bouillonnement culturel et d’enthousiasme de la jeunesse, bien que des réserves soient émises quant au problème pour les jeunes d’être à la fois artistes et organisateurs, à la limitation des ressources financières et matérielles à disposition, et au caractère éphémère de certains petits festivals. Ceci étant posé, les activités et les festivals initiés par les jeunes et leurs collectifs vont souvent de pair avec un engagement citoyen fort, aussi dans une visée de démocratisation de l’art et de la culture, et d’éducation culturelle et artistique des jeunes générations, en particulier les moins favorisées. A Saint-Louis, art, culture, patrimoine et engagement citoyen sont solidement associés parmi les jeunes, tout comme les acteurs culturels plus établis.

L’Institut français du Sénégal, quartier Nord, Île Saint-Louis
Au niveau des festivals qui se consolident au fil des années, dans le secteur de la musique se distinguent le Festival Metissons (musique du monde) et le Festival Autour des Cordes, dédié aux instruments traditionnels à corde comme la kora, et à la célébration du patrimoine traditionnel musical. Dans le domaine du cinéma et de l’audiovisuel, un secteur en pleine expansion parmi les jeunes et leurs collectifs (Écran du Fleuve, Jangkom), il y le Gala international du film court-métrage, ou Public Court, un festival organisé aussi par l’Université Gaston Berger (CRAC), et le Festival St-LouisDocs, dédié au documentaire africain et de la diaspora. Les films programmés lors de l’édition 2025, dont nombreux ont été réalisés par des femmes cinéastes, font presque tous état d’un combat pour la justice sociale.



Affiches de festivals et d’événements liés au cinéma, quartier Nord, Île Saint-Louis
La danse contemporaine est importante dans la ville grâce à la renommée internationale du danseur et chorégraphe Alioune Diagne et de sa création ‘Banlieue’ (2012), qui raconte la vie des jeunes dans les banlieues sénégalaises. Il est fondateur de l’association Diagn’Art, qui vise à promouvoir et à démocratiser la danse dans la ville et qui comprend le Centre Culturel Le Château, un espace culturel et résidence artistique dans le quartier des pêcheurs de Guet Ndar (Ndar Toute). Le Château œuvre à promouvoir et démocratiser les pratiques culturelles et artistiques dans leur ensemble en s’adressant à des publics hétérogènes, y compris les enfants et les jeunes des milieux moins favorisés. Diagn’Art a initié en 2008 le Festival International Duo Solo Danse, qui est devenu l’un de plus importants festivals de Saint-Louis, et qui représente un tremplin pour les jeunes danseurs et danseuses de la ville.

Affiches de festivals, Centre Culturel Le Château, Guet Ndar
En ce qui concerne les festivals de cultures urbaines, c’est le slam qui est particulièrement prisé en ce moment parmi les jeunes saint-louisiens, en particulier les femmes. Une jeune femme et son association Slam Nomade jouent un rôle proéminent dans la ville pour célébrer le slam en tant que art et puissance de la voix engagée de la jeunesse. La jeune slameuse Hajar Thiam, aussi juriste, poète et nouvelliste, est la première femme à initier un festival de slam au Sénégal, Le Festival International Slam Nomade. Ce festival, appuyé par l’Institut français et Hahatay, rassemble des slameurs et des slameuses au niveau national et international, ainsi que des voix, des visions et des vibrations autour de la poésie, de la parole et de l’engagement. Comme son initiatrice l’affirme à l’occasion de la présentation du festival en 2025, « Slam Nomade est né d’un rêve : celui de rassembler, chaque année, des slameurs et slameuses venus de plusieurs horizons, porteurs de leurs accents, de leurs colères, de leurs espoirs… et de leurs vers. Trois éditions déjà que ce rêve un peu fou nous réunit ici, à l’Institut français de Saint-Louis, cette ville au carrefour des cultures, des voix et des imaginaires. (…) Le slam, c’est l’art de dire. Dire ce qu’on ressent, ce qu’on dénonce, ce qu’on espère. C’est un cri parfois, une caresse souvent, un poing levé, un cœur grand ouvert. »

Accréditations de festivals de hip-hop, atelier de Zilla, photographe, Pikine.
En ce qui concerne le rap et le hip-hop, deux festivals se sont démarqués lors des deux dernières décennies, Rapandar et Bëccëgu Ndar Kamm, qui n’ont plus lieu depuis quelques années, après environ une douzaine d’éditions chacun. Ces festivals avaient lieu dans la banlieue de la ville, dans le quartier de Pikine, et étaient initiés par deux associations de jeunes, 10’000 problèmes (Rapandar), et Bëccëgu Ndar Kamm, actives dans d’éducation des jeunes par le biais du hip-hop et dans la promotion des cultures urbaines dans la région de Saint-Louis. Comprenant des compétions de rap, djing, graffiti et des ateliers de formation aux métiers du hip-hop, ces festivals attiraient chaque année un public de plusieurs dizaines de milliers de jeunes.
Le hip-hop et les cultures urbaines à Saint-Louis, bien que toujours populaires et diffusés parmi les jeunes, en particulier dans la banlieue, semblent avoir perdu de nos jours leur dynamisme au niveau de l’organisation de festivals. L’un des acteurs du mouvement hip-hop de Saint-Louis, Index du groupe de rap Nuul Kukk, à l’origine du festival Bëccëgu Ndar Kamm, a pris de l’âge, s’est professionnalisé et a évolué individuellement vers d’autres styles musicaux. La relève part souvent se former à Dakar pour se professionaliser, où il existe plus de possibilités d’évoluer dans la scène hip-hop. Alors que nombreux artistes hip-hop restent dans la capitale, certains d’entre eux, comme Zilla, photographe événementiel reconnu de la scène hip-hop, bien que partant souvent à Dakar pour se former et pour travailler, est toujours basé à Saint-Louis et s’active pour redynamiser la scène hip-hop et former les jeunes de son quartier, Pikine.
Les cultures urbaines, la privatisation et la territorialisation de la culture

Zilla, photographe événementiel, et l’entrée de son atelier, Pikine